jeudi, février 19, 2015

Hasard

L'autre jour, je suis entrée dans la boulangerie tout près de chez moi pour y acheter un pain aux raisins. Leur pain aux raisins est fantastique. Il est bien levé, tout haut et rond, et lorsqu'on le coupe en tranches pour le faire griller, on peut voir qu'il a été roulé en spirale avec tous les raisins qui font la ronde. En plus, il n'y a pas de cannelle dedans. Je trouve qu'on abuse souvent de l'association raisins-cannelle, alors, il fait vraiment mon bonheur.

J'entre donc et il y a la radio qui diffuse une petite musique vague. Ce n'est pas vague parce que le son est au minimum, c'est vague parce que c'est une vieille radio qu'il faut syntoniser manuellement et que le poste actuel n'est pas tout à fait au point. À travers la neige, il y a quelque chose. Je pense reconnaître la chanson mais je n'en suis pas certaine.

Un autre gars entre dans le commerce. Il a environ mon âge,  emmitouflé dans un manteau de feutrine et un foulard à carreaux. On se salue, en regardant l'étalage de pains. Je commande mon pain que je demande à faire trancher. La dame quitte le comptoir pour aller trancher la chose et l'inconnu me demande : "c'est quoi cette chanson dont ?". "Tiens c'est curieux, je me disais justement la même chose ? Je la reconnais...mais pas tout à fait on dirait". "Oui, on dirait que c'est une chansons connue diffusée d'un autre monde".

Ça nous fait rire un peu. Je prend mon pain, je paie, je quitte.

Quelques jours plus tard, je suis à l'université et je tente de rédiger un courriel sérieux rempli de convenances et de formules de politesse. Abrutie par la lourdeur d'un message qui, somme toute, ne contient que peu d'informations, je décide d'aller m'acheter un café. Lorsque j'arrive devant le comptoir, je reconnais la chanson mystérieuse ! Le vacarme ambiant m'empêche toutefois de bien l'entendre. Je discerne le rythme, une voix, mais je n'arrive pas à savoir s'il s'agit d'une voix d'homme ou de femme. Pas plus que je ne distingue la langue. Une chanson à la mode sans doute puisque je l'ai entendue 2 fois en si peu de temps, me dis-je.

J'ai fini de garnir mon café et je me présente à la caisse. Les employées sont débordées, le paiement est chaotique. Lorsque je me retourne pour quitter, une jeune fille m'aborde : "Excuse-moi, sais-tu c'est quoi cette chanson?", qu'elle me demande. "Non, justement, moi aussi je me demandais", que je lui dis. La conversation se poursuit quelques minutes. J'apprends qu'elle est étudiante à la maîtrise en travail social et qu'elle occupe un poste dans le réseau gouvernemental. Ça tombe bien, je cherche justement à rencontrer des travailleurs sociaux qui y oeuvre. On discute un peu de politique. Elle se nomme Martine. Elle me laisse son adresse courriel que je note rapidement dans mon carnet.

De retour à mon bureau, je pense à Martine.  Pas cette nouvelle Martine mais une autre. Une amie dont je suis sans nouvelles depuis quelques mois et qui a, elle aussi, étudié en travail social. Je lui envoi un petit message. Tant qu'à tenter de m'éloigner de mes tâches à faire...  Elle me répond tout de suite ! Il faut croire que je ne suis pas la seule à procrastiner.  Elle va bien mais elle n'a pas beaucoup le moral. Elle tente de rédiger des choses impossibles et ses pensées s'emmêlent, elle n'arrive à rien et tout cela la décourage jour après jour. Je me reconnais un peu dans tout ça. Je lui dis que j'irai la voir sous peu. Probablement le week-end suivant. Elle est contente. Moi aussi. On se souhaite bonne chance.

Ce soir-là, je décide de marcher un peu plus longtemps pour me rendre chez moi. Je fais quelques détours. Le temps des doux et il y a une petite neige qui tombe. Doucement. Une neige apaisante. Enrobante. Une neige qui fait aimer l'hiver, profondément.

Je marche dans le silence sur un sentier boisé où je ne vois personne. Il n'y a que des oiseaux et un petit lièvre qui bondit furtivement entre les branches. Je repense à la chanson. C'est quand même étrange d'avoir entendu cette chanson 2 fois sans avoir pu clairement l'identifier ni même clairement l'entendre. Je repense à cette idée de chanson diffusée d'un autre monde.

Serait-il possible, comme ça, s'en s'en apercevoir, de tomber de l'autre côté du miroir ? D'entrer dans une perception du monde qui serait légèrement différente ? Où les transformations seraient si petites et si simples qu'on pourrait ne pas distinguer le changement ? Puis, petit à petit, on finirait par comprendre que quelque chose cloche sans toutefois pouvoir l'identifier. On aurait l'impression d'avoir perdu une partie de notre acuité. Le monde sonnerait faux, parfois, sans vraiment être capable de mettre le doigt dessus.

Lorsque je suis sortie du sentier, il faisait complètement noir.

Aucun commentaire: